Translate

samedi 23 juin 2012

Rwanda : Plusieurs experts démentent le «scoop» de Libération sur les missiles

Pierre Péan, auteur de «Noires fureurs, blancs menteurs » et de « Carnage » , démonte le scoop de Libération sur la présence supposée de missiles français dans l'armée rwandaise avant l'attentat qui a coûté la vie à Juvénal Habyarimana. En réalité, l'information, qui n'est pas nouvelle, avait été écartée comme non pertinente par le Tribunal pénal international.


DUPUY FLORENT/SIPA
DUPUY FLORENT/SIPA
Médiatiquement, le scoop de Libération qui a affirmé dans son édition du 1er juin que 15 missiles Mistral étaient présents dans les stocks des Forces de l’Armée Rwandaise  (FAR) du régime Habyarimana, a été une belle réussite, un coup relayé par la plupart des médias français. Petit problème, le scoop n’en est pas un. 

La liste faisant état de ces missiles sol-air de fabrication française – pièce découverte par une journaliste britannique dans les archives de l'ONU – a été remise jeudi aux juges Marc Trévidic et Nathalie Poux par les deux avocats. Information également transmise à Libération qui la mettait en une dès le lendemain. Ce « scoop » est censé fragiliser la thèse actuelle qui désigne Paul Kagame comme le commanditaire de l’attentat qui a coûté la vie au président Juvénal Habyarimana. Attentat qui est le facteur déclenchant du génocide.

Il n’est pas besoin d’être un expert pour comprendre l'effet produit par la présentation du document dans la tête des lecteurs de Libération et des autres médias qui le relaient :  si les FAR avaient possédé des Mistral, ils auraient pu s’en servir pour tirer sur le Falcon 50. Ce stock signerait la responsabilité des Hutus et la complicité de la France dans l'attentat déclencheur du génocide…

Ce faux scoop, signé par la journaliste Maria Malagardis, correspond en réalité à une énième manipulation de Kigali. Le prétendu dépôt de 15 Mistral chez les FAR a été signalé dès octobre 1994 par Alison Des Forges de Human Rights Watch, elle se basait alors sur une liste établie par Sean Moorhouse, un officier britannique de la MINUAR2, qui lui-même la détenait de seconde main.

Contacté de plusieurs côtés, Moorhouse nie aujourd’hui avoir écrit que les FAR possédaient 15 Mistral. Dans un échange de courriels avec le professeur belge Filip Reyntjens, Moorhouse écrivait, l’an dernier, à propos de cette liste reprise par HWR : « Je n'ai pas rédigé la liste d'armes soupçonnées d'être en possession des FAR. Je l'ai héritée. » Moorhouse ajoute qu'il n'accorde pas beaucoup de foi à la fiabilité de cette liste, qui s’inscrit dans le flot des rumeurs de l’époque. Il suggère même que les Mistral y ont été ajoutés plus tard. Filip Reyntjens n'a pas tardé à donner son commentaire du « scoop » de Libération : « Tout ceci n'est donc pas sérieux, et tout ce que Maria Malagardis a "révélé" est sa propre légèreté dans le traitement d'un dossier qui mérite un peu plus de rigueur. »

« Faux scoop… Ridicule… Pétard mouillé… », m'a déclaré, pour sa part, le colonel Luc Marchal, adjoint du général Dallaire à la MINUAR en 1994. Officier belge, il était l’homme qui était chargé de savoir où étaient les armes des parties (FAR et FPR) et de mettre sous séquestre les armes non individuelles. Très sévère avec l'article de Libération, il affirme que ce document était connu depuis longtemps et qu’il a été discuté à Arusha, au TPIR, avant d’être écarté, parce que non pertinent. « Si les FAR avaient possédé des Mistral, j’aurais été au courant, c’était mon boulot. La possession de tels missiles aurait nécessité une infrastructure qu’ils n’avaient pas… Et, si les FAR en avait disposés, ils les auraient mis en batterie pour protéger l’espace aérien et on les aurait donc repérés. »

Libération a publié ce faux scoop au moment précis où les avocats des parties civiles déposaient leurs conclusions sur l’expertise balistique dans le dossier de l’attentat. Cette exptertise, sans être catégorique, orientait l’enquête vers des tirs de missiles depuis le camp de Kanombe,  alors aux mains des FAR, plutôt que depuis la ferme de Masaka.  Sans désigner pour autant les auteurs possibles de cette attaque. Libération en avait tiré des conclusions totalement abusives, barrant sa une du 11 janvier 2012 d’un très gros « Irréfutable ». Le quotidien reprenait ainsi, sans aucune précaution, la thèse de Kigali, donnant ainsi à croire aux lecteurs du quotidien que l’enquête était bouclée, que le président du Rwanda Paul Kagame était innocent et que les extrémistes Hutus étaient les auteurs de l’attentat, avec un titre qui faisait dire au rapport ce qu’il ne suggérait même pas : « Rwanda :  la preuve d’un génocide planifié »…

Cette "une" et cet article ont suscité de nombreuses réactions indignées, dont celle de Rony Brauman, Claudine Vidal et Jean-Hervé Bradol qui ont publié dans Marianne une tribune sous le titre « Les idiots utiles de Kagamé   ». Les « idiots utiles » ont donc remis le couvert au moment précis où étaient déposés chez les juges des documents montrant que ce rapport n’était pas, comme ils l’avaient martelé, irréfutable, mais nécessitait au contraire une contre-expertise.
 
Le faux scoop de Libération est donc un nouvel enfumage au moment où plusieurs des plus proches collaborateurs de Paul Kagame ont décidé de se confier aux juges français. Ils disposent d'informations inédites qui tendent à mettre en cause Paul Kagamé et à le désigner comme le commanditaire de l’attentat.
 
Le jeu de Kigali s'explique facilement : le régime rwandais réagit pour faire pression sur les juges au moment où il est fragilisé par le départ de Nicolas Sarkozy qui souhaitait l’abandon de l’instruction sur l’attentat. Il y va de sa survie tant la décision judiciaire de sa culpabilité remettrait totalement en cause sa légitimité de Paul Kagamé.
Une fois de plus, Libération semble  s'être transformé en une sorte de Pravda de Kigali. La thèse de l’article ressemble à s’y méprendre à l'un des axes de la défense de Me Lev Forster et Me Bernard Maingain, les avocats des neuf Rwandais de l’entourage de Paul Kagame, toujours mis en examen, malgré les très fortes pressions exercées sur les juges français depuis six ans. La tragédie rwandaise a fait émerger un nouveau genre de journalistes. Ceux qui savent a priori la vérité et qui enquêtent ensuite pour prouver qu’ils ont raison. Une investigation hémiplégique, dont Libération n'a pas, hélas le monopole.
 

RDC - RWANDA : Le premier pleurniche, le second ricane !

Je ne suis pas prophète. Pourtant, dès l'annonce de la création du M23 au mois d'avril dernier, j'ai écrit plusieurs billets sur ce blog où j'essayais de démontrer que le M23 et le CNDP étaient comme Jésus et Christ. La parade n'a pu tromper que les ignorants sur ce qui se passe dans la sous-région des grands-lacs, ou les naïfs, ou alors les aveugles et les sourds.

Tout le monde se rappelle qu'au commencement, le lien entre ce soi-disant nouveau mouvement et le général Bosco Ntaganda avait été nié, aussi bien par Monsieur Makenga Sultani - le pare-chocs du M23 - que par les officiels politiques du CNDP restés à Goma.

Aujourd'hui, il est établi que l'homme meneur du M23 n'est autre que Bosco Ntaganda. Aujourd'hui, le CNDP a clairement et publiquement annoncé son ralliement au M23 en se retirant des institutions publiques auxquelles il était associé depuis 2009. Aujourd'hui, les principaux leaders du CNDP vivent (en exile?) au Rwanda, ce n'est un secret pour personne.

Et aujourd'hui, les liens entre le Rwanda et le M23/CNDP sont de plus en plus évidents. Il y a quelques semaines, je n'aurais pas fait le pari d'affirmer que le Rwanda soutient le M23, tant on nous faisait croire que le Rwanda était du côté du gouvernement de la RDC et appuyait ses efforts pour rétablir la sécurité et mettre fin à ce qui à l'époque était présenté comme une simple mutinerie. Mais les liens entre d'une part ces mouvements depuis l'AFDL jusqu'au M23, en passant par le RCD, et le Rwanda d'autre part, sont si séculiers, si enracinés, que ce jeu de dupes ne pouvait pas durer longtemps. Human Rights Watch (les mots sont amères dans la bouche de Kigali !) a mis à nu et apporté la preuve, ou au moins les indices, que le Rwanda était lié au M23.

Si les choses s'étaient arrêtés là, les officiels rwandais auraient vilipendé cette organisation, comme ils en ont l'habitude, et aurait jeté le discrédit sur son rapport. Mais la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Congo a vite confirmé les informations données par HRW. Les FARDC ont elles-mêmes fait prisonniers plusieurs dizaines d'éléments rwandais qui combattaient aux côtés du M23, et dont les témoignages ont été largement diffusés.

Le gouvernement congolais a presque titubé devant cette situation. On aurait cru qu'il eût préféré que ces révélations sur l'implication de son faux ami dans cette nouvelle guerre ne fussent jamais faites. Il a semblé fort embarrassé, plus même que le principal intéressé, c'est-à-dire le Rwanda. Vous croyez, vous, que c'était par pure prudence que Kinshasa avait préféré mettre en place une commission "de vérification" ? Permettez-moi d'en douter.

En fin de compte, le gouvernement congolais a lâché le morceau et accusé publiquement son traître de voisin de soutenir les rebelles du M23 en leur fournissant armes, munitions, renseignements, et hommes. Oh ! Là encore l'hésitation de Lambert MENDE était perceptible. "Nous savons que le territoire rwandais est utilisé comme base arrière pour l'entraînement et le ravitaillement des hommes du M23", avait-il annoncé à demi-mots, ajoutant qu'il y aurait un "réseau officieux qui apporte de l'aide au M23".

La version d'un réseau officieux qui appuierait les rebelles congolais à partir du Rwanda serait bien sûr un moindre mal diplomatique pour Kigali. Mais quiconque connaît le système rwandais actuel comprend que c'est du leurre tout ça: il est quasiment impossible que des activités d'une telle gravité (recrutements, entraînement, ravitaillement, rencontres avec des généraux du M23, ...) se déroulent sur le territoire rwandais sans la bénédiction du Président Kagame, ou à tout le moins, sans qu'il ne soit au courant.

Le gouvernement congolais le sait sans doute. Mais fallait-il y aller avec des pincettes pour interpeler le gouvernement rwandais et la communauté internationale sur ces faits ? De quoi a-t-il peur ? Vous vous en doutez, il a peur de sa faiblesse. Pas plus ni moins. Avec une armée infestée d'anciens rebelles à la loyauté douteuse, désorganisée, sous-équipée, mal entretenue, ... l'on comprend que la RDC fasse profil bas, y compris lorsqu'un petit pays comme le Rwanda lui met des doigts souillés dans la gorge.

Alors Kabila ne trouve pas mieux que d'implorer le Conseil de sécurité de voler à son secours et d'arrêter les audaces du petit voisin gênant. Drôle d'inspiration ! D'une part le tonitruant Ministre congolais de l'information avance qu'un complot de balkanisation de la RDC qui utiliserait le Rwanda est en cours, et qu'il serait orchestré par certaines puissances occidentales (ce qui est peut-être vrai), mais d'autre part Kabila appelle au secours ces mêmes puissances pour le tirer d'affaire. Il ne faut pas être un génie pour juger de l'incohérence d'une telle démarche de la part d'un gouvernement qui voudrait pourtant qu'on le prenne au sérieux.

A présent, il paraîtrait que les Etats Unis sont entrain de bloquer la publication d'un rapport du panel des Nations Unies sur l'embargo sur les armes en RDC qui porte des annexes accablants pour le Rwanda. Sérieusement, qu'est-ce que les Congolais peuvent bien attendre de cette "communauté internationale"? A mon avis, pas grand chose, sinon qu'elle va tout faire pour étouffer l'affaire ou ajouter ce rapport au tas d'autres qui gisent dans les archives de l'ONU, comme ce fameux Mapping Report sorti en 2010 et que l'on a vite fait d'oublier.

Kabila doit se mettre à l'évidence: le Rwanda n'est pas l'ami du Congo, mais un adversaire avec qui il faut apprendre à se mesurer. C'est trop naïf de compter sur sa bonne foi pour respecter la souveraineté de la RDC et ne pas se mêler de ses affaires. Je ne dis pas qu'il faut l'affronter militairement à tout bout de champ, mais il faut se mettre en état de le faire au cas où ce serait la solution ultime. En clair, il faut lui imposer le respect. Comment? En se dotant de moyens de persuasion; en ayant le courage de lui dire la vérité en face, sans demi-mots ni demi-mesures. Je m'imagine ce qu'aurait fait un Kagame s'il se trouvait dans une situation  où son pays est agressé, et que ses agresseurs sont notablement soutenus par une puissance étrangère, voisine ou même lointaine... Dans le passé il n'a pas hésité à entrer au Congo de manière préventive, simplement préventive, au motif que les réfugiés hutu rwandais installés à l'Est de la RDC menaçaient la sécurité du Rwanda. Aujourd'hui encore, les FDLR sont sur toutes les langues, et le Rwanda a réussi à en faire une épée perpétuellement brandi sur la tête de la RDC.

La RDC, elle, confie toujours son destin à des tiers: renseignements? Faisons appel aux services de toute la région. Frontières? Nous n'en avons pas le contrôle, mais s'il vous plaît Kagame ne les franchissez pas ! Rébellion? Ce n'est qu'une mutinerie menée par nos militaires indisciplinés, cher Kagame aidez-nous à les maîtriser...

Il est temps que les choses changent, cher Kabila !      

 

mercredi 6 juin 2012

Je reviens du Maniema

Salut !

Vous avez sans doute constaté que j'étais absent de la toile depuis une dizaine de jours. On ne m'a pas tué, non. Je ne me suis pas découragé non plus. Ce qu'il y a, c'est que je suis allé faire un petit tour dans la province du Maniema (Est de la RDC, entre le Sud-Kivu, le Katanga, la Province orientale, et le Kasaï oriental).

J'aurais l'occasion de vous parler de mon périple dans les tout prochains jours. Pour le moment, je souhaitais juste "faire un signe de vie", comme on dit.

Si j'avais pu me connecter au cours de mon voyage, j'aurais continué de poster des billets. Hélas, j'ai eu beau passer par des puits d'or et de coltan, traverser des fleuves magnifiques et une forêt richissime en essences et en animaux, j'ai rarement eu une simple connexion téléphonique, pour ne pas parler de connexion Internet.

Péniblement, j'ai pu capter une radio (en short wave) de temps en temps, pour entendre entre autres choses que la MONUSCO et HUMAN RIGHTS WATCH avaient publié des rapports "accablant" pour le Rwanda au sujet de ce qui se passe au Nord-Kivu, et que Lambert MENDE (le "parolier" du gouvernement) psalmodiait encore ses denis comme d'habitude...à penser qu'affronter la vérité lui faisait trop peur (le pauvre !).

J'aurais vraiment trop à écrire, les prochains jours.

A ceux et celles qui m'ont envoyé un message, je dis merci.

A très bientôt.