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lundi 29 octobre 2012

Résolution de la crise à l’Est de la RDC : le gouvernement congolais désavoue la CIRGL ?

Le Premier Ministre rd congolais, Matata Ponyo
Le Premier ministre de la RDC, Augustin Matata Ponyo, en mini-tournée en Europe cette semaine, a clairement désavoué le schéma proposé par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL). « Le gouvernement congolais ne croit pas en une solution à la crise de l’Est qui viendrait de la CIRGL, étant donné que certains de ses membres sont impliqués dans la déstabilisation de la RDC », a-t-il déclaré en substance. Et d’ajouter que pour son gouvernement, la solution réside dans le renforcement et la précision du mandat de la MONUSCO, la force onusienne forte de près de vingt mille hommes, qui est déployée en RDC depuis dix ans.

La CIRGL, qui regroupe onze Etats (la RDC, ses neuf voisins, plus le Kenya) s’est positionnée dès le début de cette année, et la naissance du Mouvement du 23 mars, comme étant le mécanisme régional le mieux placé pour trouver et mettre en œuvre une « solution africaine » aux rébellions qui sévissent à l’Est de la RDC. Son plan consiste essentiellement au déploiement d’une « force internationale neutre », composée de forces des Etats de la région, qui aurait pour tâche d’éradiquer les groupes rebelles nationaux et étrangers actifs à l’Est de la RDC, dont le M23, les FDLR, l’ADF/NALU et le FNL. Elle devrait aussi (cette force) contrôler la frontière entre la RDC et le Rwanda accusé dans différents rapports de soutenir la rébellion la plus en vue actuellement : celle du M23.

Pourtant le gouvernement avait été averti… 

Les tout premiers à avoir osé rejeter publiquement le schéma de la CIRGL, ce sont des jeunes révolutionnaires de Goma réunis dans un mouvement anonyme ayant pour slogan « Inatosha ! ». Plus d’une fois, ces jeunes ont écrit des mémorandums et organisé des manifestations publiques pour s’opposer au déploiement d’une force internationale neutre « de trop » à l’Est de la RDC.

Le 15 août dernier, alors que les ministres de la défense de la CIRGL étaient réunis à Goma en préparation du tout premier sommet de Kampala, ces braves jeunes ont fait un sit-in devant l’hôtel où la réunion se tenait, avec des cartons sur lesquels il était écrit, notamment : « Non à une force internationale neutre. Oui au renforcement du mandat de la MONUSCO ».

Les 5 septembre, ils ont redit la même chose dans une manifestation organisée devant le quartier général de la MONUSCO à Goma. Dans un mémorandum adressé au Président de la République, ils recommandaient au gouvernement de plaider pour que le Chapitre VII de la Charte de l’ONU soit effectivement appliqué par la MONUSCO. Ils prenaient soin de rappeler que cette dernière avait l’avantage d’être présente depuis plusieurs années, de disposer de moyens matériels et humains suffisants, contrairement à une hypothétique force neutre.

Le 11 septembre, lors de la visite à Goma du sous-secrétaire général des Nations-Unies en charge des opérations de maintien de la paix, les mêmes jeunes lui adressaient une lettre ouverte dans laquelle ils demandaient à ce que le mandat de la MONUSCO soit renforcé et limité aux seuls impératifs de rétablissement de la paix et de formation des forces de sécurité congolaises. Toutes ces déclarations sont parvenues au gouvernement, qui n’a jamais daigné les prendre en considération.    

La société civile congolaise, et celle du Nord-Kivu en particulier, a toujours réfuté le schéma de la CIRGL, le qualifiant d’incohérent, de long et difficile en mettre en œuvre, et surtout d’hypocrite étant donné le rôle qu’y jouent le Rwanda et l’Ouganda. Cette même société civile a toujours dénoncé les actes d’agression et de soutien aux groupes rebelles, de la part des armées rwandaises et ougandaises.

Dans une déclaration rendue publique au mois d’août dernier, et intitulée « La République est agressée : on n’a pas à être neutre pour la défendre », les organisations et les structures de la société civile de la République Démocratique du Congo ont, de façon unanime, recommandé au gouvernement congolais de « renoncer purement et simplement au schéma de la CIRGL ». Elles préconisaient, elles aussi, le renforcement du mandat de la MONUSCO de sorte qu’avec les « meilleurs unités armées congolaises, dotées d’un commandement efficace », elle puisse jouer le rôle de cette force internationale.

Ce n’est pas tout, car même des organisations internationales crédibles, comme l’International Crisis Group, ont aussi déconseillé l’envoi à l’Est de la RDC d’une « nouvelle » force internationale neutre.  Tous ces appels sont restés lettres-mortes, car le gouvernement a poursuivi ses démarches au niveau de la CIRGL.

Matata Ponyo est-il le chef du gouvernement ? 

Le chef, ou l'ombre du vrai chef ?
La question n’est pas anodine, loin de là ! Car, alors que le Premier ministre a exprimé la « position du gouvernement » contre le schéma de la CIRGL, ses ministres de la défense et des affaires étrangères poursuivent, eux, les démarches au niveau de la CIRGL en vue de l’opérationnalisation de la fameuse force internationale neutre. Sous la houlette de l’Ouganda, et avec la participation du Rwanda. Dans ce cadre, une réunion des ministres de la défense de la CIRGL (dont le congolais, et ses homologues rwandais et ougandais) s’est clôturée à Goma jeudi 25 octobre dernier, après l’adoption du plan d’opérationnalisation.

Cette situation suscite beaucoup d’interrogations : le Premier ministre Matata Ponyo a-t-il réellement exprimé la position de son gouvernement, ou la sienne propre ? Y a-t-il un autre chef de gouvernement dont les ministres de la défense et des affaires étrangères suivent les directives ? Est-ce une stratégie de garder un pied dans la CIRGL et un autre dehors (à l’ONU), le temps de trouver l’option qui marche ? Quelle est finalement la position du gouvernement congolais, s’il en existe un ? Les réponses ne sont pas évidentes…
Une chose est sûre : la cacophonie règne à Kinshasa. C’est à peine si, sur cette question précise de la guerre à l’Est de la RDC, on ose encore parler de l’existence d’un « gouvernement congolais ». Il gouverne quoi, s’il est incapable ne serait-ce que de coordonner ses actions ? Pas de position claire, pas de stratégie cohérente, des contradictions permanentes entre le tonitruant ministre de l’information, l’inaudible visible ministre des affaires étrangères, et le démobilisé ministre de la défense…

L’ONU esquive ou s’embarrasse ?  

Les Nations-Unies ne sont pas irréprochables, dans tout se qui se passe en République Démocratique du Congo. Leur présence depuis une décennie a soulagé au minima les malheurs des congolais, mais elle a échoué d’imposer et de maintenir la paix (on me dira que sa mission était « l’observation », et aujourd’hui « la stabilisation », ce que je concède volontiers). Avec des dépenses quotidiennes de l’ordre de quatre millions de dollars américains, un effectif de dix-huit mille personnes, des moyens matériels impressionnants, l’action de la Monusco reste très limitée, même au regard de son mandat principal de protection des civils.
Evidemment, quel est ce soldat indien, pakistanais, népalais ou autre, pressé de mourir ou de se sacrifier avec ardeur sur la terre congolaise ? Je ne veux pas penser que la couleur des congolais les rappelle les parias, ces hommes et femmes qui, là-bas chez eux, valent moins qu’un âne ou un serpent… Seulement, je ne m’explique pas la position des Nations-Unies en faveur de cette force internationale neutre.  Peut-être que les grandes puissances des Nations-Unies veulent simplement laisser les africains « gérer leur problème » comme ils n’ont de cesse à le réclamer. Peut-être qu’elles voudraient bien suivre la position du gouvernement congolais, qui n’existe pas (encore) ou qui n’est pas claire…

 En conclusion…

La prise de position de Monsieur Matata Ponyo, quoique tardive, a réjoui la majorité des congolais à l’Est de la RDC. Il ne faut pas cependant qu’elle demeure  un discours en l’air, destiné à « accuser réception » du rapport de l’ONU mettant en cause l’Ouganda et réaffirmant l’implication du Rwanda dans les troubles de l’Est de la RDC. Le gouvernement congolais – pour peu qu’il soit capable de se ressaisir – devrait concentrer ses efforts diplomatiques au renforcement du mandat de la Monusco en vue d’en faire véritablement une force de rétablissement et de maintien de la paix et de la sécurité. Heureusement, certains pays comme la France, qui est membre permanent du Conseil de sécurité, ont déjà montré qu’ils pourraient soutenir une telle démarche. Dans son discours au XIVème Sommet de la Francophonie à Kinshasa, au début de ce mois, le Président François Hollande a affirmé que la France y était « favorable ».

Si le Premier ministre Matata Ponyo, apparemment plus crédible que son patron du Palais de la Nation, ne se charge pas de mettre ses ministres et ses diplomates sur les rangs dans cette perspective ; si le gouvernement ne se décide pas à insister et marteler sur le renforcement du mandat de la Monusco, alors la RDC va tout perdre. La diplomatie congolaise est moribonde, tout le monde le sait, mais la volonté politique au niveau du gouvernement peut la revitaliser, spécialement pour cette question-ci.

Quoiqu’il en soit, le rétablissement et le maintien de la paix à l’Est de la RDC sont difficiles, voire impossibles sans l’implication des Etats de la région des grands-lacs. Ils sont un rôle imparable à jouer, mais pas de la manière qu’ils l’ont feint de le faire à travers le schéma de Kampala.
   


vendredi 26 octobre 2012

Reconstruction de la voirie de Goma : le gouverneur Julien Paluku se moque du monde…

La route principale de Goma (route de Sake), après nivellement et arrosage. Septembre 2012



Harcelé par l’association des détenteurs de stations-service de Goma, qui ont menacé de fermer leurs pompes si une les travaux de reconstruction des principaux axes routiers de la ville ne reprenaient pas rapidement, le Gouverneur de province du Nord-Kivu, Julien Paluku Kahongya, a annoncé une série de « mesures ».

Au sortir de l’audience marathon qu’il a accordée à ces détenteurs de stations, samedi dernier, le gouverneur a annoncé qu’il venait de donner un ultimatum d’une semaine au ministre national des infrastructures pour que les travaux de réhabilitation des routes de la province du Nord-Kivu soient relancés et accélérés. Il a déclaré : « Si aucune suite n’est donnée dans ce délai, je vais ordonner la suspension pendant trois mois de tout transfert de fonds des comptes du Fonds d’Entretien Routier (FONER, ndlr) à Kinshasa. Dans ce cas, je vais aussi suspendre le contrat de l’entreprise TRAMINCO à qui le gouvernement a attribué les travaux, et avec les fonds bloqués du FONER et la collaboration des opérateurs économiques de Goma, nous allons trouver une autre entreprise à même de mieux faire ces travaux et de les terminer rapidement ».

A la suite de cette sortie, les « pétroliers », comme on les appelle ici, ont annulé leur action de fermeture de stations qui était prévue pour mardi 23 octobre. Et pour calmer davantage les esprits des gomatraciens, le gouverneur s’est arrangé pour que des engins des entreprises publiques spécialisées se remettent à niveler les innombrables trous creusés par la pluie sur le principal axe routier de la ville. Ce qui devrait éviter aux motards et aux automobilistes les secousses jusqu’à la prochaine pluie…

Si tout le monde à Goma sait que niveler la route et l’arroser, comme cette fois, est un remède d’une poignée de jours à l’enfer des secousses et de la poussière – en plus d’être trop coûteux (2000 dollars dépensées chaque semaine) –, il n’en est pas de même de la perception de ces « mesures » prises par le gouverneur.

Imposture, diversion et…moquerie de mauvais goût !

Julien Paluku Kahongya,
gouverneur du Nord-Kivu
Photo Internet
Sur base de quelle disposition constitutionnelle ou légale, quelle pratique, ou au nom de quel pouvoir le gouverneur de province peut-il donner un ultimatum à un ministre national ? Le Fonds d’Entretien Routier, établissement public national, est-il responsable de la construction ou de la réhabilitation des routes ? Quel pouvoir a le gouverneur sur le FONER pour bloquer le transfert des fonds de la province à son siège social dans la capitale Kinshasa ?

Il faut être à mesure de répondre correctement à ces questions pour avoir ce que valent exactement les « mesures » prises ou annoncées par ce gouverneur. D’ores et déjà, tout esprit éclairé sait que c’est du pur mensonge, de la diversion, voire de la moquerie à l’égard de cette population qui souffre tant de l’état de routes de la ville, et qui a peut-être tort de se croire gouvernée. N’en déplaise à ceux qui, par fanatisme, par ignorance, ou pour de mesquins intérêts personnels, ont trouvé là objet d’applaudissements et de louanges, saluant « le courage » du gouverneur !

Je ne vais pas m’attarder à décortiquer une à une ces questions, tellement les réponses sont évidentes pour qui sait tourner (et bien) son méninge. En ce qui concerne l’ultimatum, par exemple, je parie ma main que c’est un leurre destiné à faire croire aux crédules (malheureusement nombreux au Congo) que le gouverneur a la maîtrise de la situation, qu’il est superpuissant, et qu’il ne ménage même pas ses tuteurs de Kinshasa. Il n’y a qu’à voir l’opportunité de son intervention : un mémorandum adressé à la direction du FONER, menace de fermer les stations d’essence, grogne grandissante au sein de l’opinion publique sur sa gestion du dossier, …

C’est sur le FONER qu’il y aurait plus à dire...

Vue aérienne du centre-ville de Goma. Photo radio Okapi
Le FONER (Fonds d’Entretien Routier) est un établissement public à caractère administratif et financier qui, comme son nom l’indique, a pour mission de collecter et d’administrer les fonds destinés à l’entretien et à la gestion des réseaux routiers du territoire national (confer article 3 du décret n°08/27 du 24 décembre 2008 portant création et statuts d’un établissement public dénommé Fonds National d’Entretien Routier, en sigle « FONER »).  

L’article 4 du décret précité est encore plus explicite : « Le financement des opérations de construction et de réhabilitation des routes est exclu du champ d’intervention du FONER ». Son directeur national, de passage à Goma, l’a d’ailleurs rappelé. En ce qui concerne Goma, c’est bien de construction/réhabilitation qu’il s’agit, non pas d’entretien… Et ce n’est pas Monsieur le Gouverneur qui peut prouver le contraire ! D’où vient-il alors, si ce n’est pas de la moquerie (ou, moins grave, de l’ignorance), que c’est au FONER qu’on demande de payer la facture de la réhabilitation de la voirie urbaine de Goma ? 

L'association des « pétroliers » a indiqué, dans son mémorandum adressé au directeur du FONER, qu’ils avaient versé vingt-quatre millions de dollars au FONER depuis sa création en 2008, et se sont plaints que l’argent n’a servi à rien. C’est bien dommage ! Je suppose que pour eux, l’établissement aurait dû investir cet argent dans l’arrosage et le nivellement réguliers des routes de Goma afin d’atténuer la poussière et les secousses, puisque c’est tout ce que les routes en terre et en pierres de Goma nécessitent comme entretien…

Je ne défends pas le FONER, je suis convaincu qu’il s’y passe des choses comme on n’en connaît qu’en RDC, en matière de gestion de ressources et de fonds publics. Je suis certain que la majeure partie de ces millions de dollars engrangés au joli prétexte de l’entretien routier finissent au même endroit que les recettes des douances, des impôts, des contrats miniers, des redevances administratives, etc. Je veux dire dans le « Trésor public », entendez : « là où tout le public des privilégiés et des « tréseurs » s’alimentent en argent accumulé par le peuple qu’ils méprisent ».

Je ne défends pas cela. Je considère seulement que mentir au peuple de cette manière n’est nullement plus noble que de détourner son argent. En plus, le gouverneur a parlé de bloquer les transferts des fonds du FONER de sa province à Kinshasa. Encore de l’imposture! Sauf erreur de ma part, le gouverneur n’a pas ce pouvoir sur un établissement public national dont la direction provinciale n’est qu’une représentation. Le FONER est placé sous la tutelle des ministères ayant les finances, les travaux publics et les transports dans leurs attributions (confer article 2 alinéa 2 du décret précité).

Comment peut-on se moquer ainsi d’une population qui paie cher l’état des routes, tant en termes de santé (avortements, hémorroïdes, maladies respiratoires) et d’hygiène (corps, vêtements, aliments, …), qu’en termes économiques (véhicules désarticulés, marchandises abîmes sur les étales des magasins, etc.) ?
Au lieu de s’en prendre au FONER, le gouverneur Julien Paluku ferait mieux de lire la constitution et de l’appliquer scrupuleusement. Il serait alors surpris d’apprendre que la question de la voirie urbaine fait partie des attributions exclusives de l’Exécutif provincial qu’il dirige, et qu’il en est donc le premier (voire le seul) répondant (confer article 204, points 11 et 24, de la constitution).

On évite le vrai sujet ?

Comme je viens de le dire, la construction et la réhabilitation de la voirie urbaine (ainsi que des autres infrastructures et équipements « d’intérêt provincial ou local ») est, constitutionnellement, de la compétence exclusive des provinces.

Message des jeunes révoltés de Goma, à l'adresse du Gouverneur. Traduction : "Goma, 20 mois dans la poussière, les trous et la boue : Ca suffit ! Monsieur le gouverneur, construis les routes ou dégage !"
Le problème est et  celui des ressources dont disposent les provinces à cette fin, auquel il faut ajouter celui de la mauvaise gouvernance qui les gangrène. A titre d’exemple, la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national réalisées en province n’est pas appliquée. Tout l’argent est envoyé au gouvernement central, et celui-ci décide souverainement de ce qu’il rétrocède à qui il veut. Le gouverneur a-t-il jamais osé évoquer le problème devant la population ? A-t-il jamais eu le culot de défier publiquement le pouvoir central, comme il donne l’impression de le faire maintenant, en retenant à la source les 40% des recettes du Nord-Kivu ? Pas à ma connaissance. Comment se fait-il que c’est le ministre national des travaux publics qui répond de la question de la voirie urbaine de Goma, alors que c’est un travail qui incombe exclusivement à la province ?

Mais il y a questions plus pertinentes encore : comment les travaux de la voirie de Goma, que l’Union européenne s’était engagée à financer, ont-ils fini par être récupérés par le gouvernement central, à la veille des élections ? Y avait-il un budget prévu à cet effet ? Quel est le coût de ces travaux et où est parti l’argent que le gouvernement aurait alors destiné à ces travaux ? Comment l’entreprise TRAMINCO, qui n’a aucune expertise en matière de travaux publics et d’ingénierie, a-t-elle obtenu ce marché ? Depuis deux ans, qui a fait quoi ? Pourquoi les travaux se sont-ils enlisés ?

Je voudrais tant que le gouverneur me réponde. Mais bien sûr il ne le fera pas. Il a son temps pour imaginer d’autres impostures, d’autres diversions, d’autres parades. Entretemps, le peuple s’est rendormi, avec ses kilos de poussière collée au poumon, son corps supplicié, ses yeux aveuglés, sa fortune ruinée ... Vive la République Démocratique du Congo !

Note : Au moment où je rédige ce billet (mercredi 25 octobre), le FONER vient d’annoncer qu’il met à la disposition du gouvernement provincial toute la somme d’argent qui se trouve dans ses comptes à Goma, soit trois millions quatre-cent mille dollars. L’argent est destiné, dit-on, à la réhabilitation d’un tronçon de plus ou moins 10km, allant de l’aéroport de Goma au quartier Mugunga. Il reviendrait au gouverneur de décider si cet argent sera remis à l’entreprise TRAMINCO, entrepreneur avec le gouvernement central des travaux dont on déplore l’enlisement, ou si c’est une autre entreprise qui doit être trouvée pour continuer le travail. Mais non seulement cette somme est très insignifiante pour réaliser ce travail – et on n’indique pas clairement comment et quand le reste de l’enveloppe sera rendue disponible – on rajoute aussi à la confusion. C’est comme si la gestion de l’Etat et de l’argent du contribuable congolais n’obéissait à aucune règle, mais aux seules humeurs des autorités. Jugez vous-même du respect et de la considération que l’on donne aux congolais !

vendredi 12 octobre 2012

Goma : le Maire couve le feu !…



Le maire de la ville de Goma a annoncé dans la soirée de ce mardi 9 octobre 2012 sa décision, avec effet immédiat, d’interdire la circulation des motos dans la ville à partir de 18h30. Pour M. Kubuya Ndoole – c’est son nom – les hors-la-loi qui sèment la terreur à Goma se circuleraient principalement sur des motos. Ces engins leur permettraient d’agir furtivement et rapidement, de sorte qu’il serait quasiment impossible de les appréhender après leur forfait. 

L’annonce de ce couvre-feu arrive au moment où la ville de Goma connaît, depuis quelques semaines, une recrudescence grave de l’insécurité qui se caractérise par des attentats à la grenade (dont le dernier, survenu dans le quartier populaire de Birere, la veille, a fait un mort et une vingtaine de blessés), des assassinats ciblés, des meurtres, des enlèvements, des cambriolages spectaculaires, etc. En plus ou moins trois semaines, plus de vingt personnes ont été lâchement abattues, et plusieurs véhicules volés.

Il y a une semaine, la situation avait obligé leur ministre national de l’intérieur et sécurité à séjourner pendant quelques jours dans la capitale provinciale du Nord-Kivu pour « trouver », avec les autorités provinciales et urbaines, une solution adéquate. A la fin de sa visite, et pour « rassurer la population », quelques individus avaient été présentés à la presse comme étant les responsables des actes de terreur enregistrés dans la ville. Certains noms de dignitaires qui travailleraient de connivence avec ces bandits avaient même été cités, dont celui du Mwami de la chefferie de Bukumu, M. Jean-Bosco Butsitsi, qui s’était empressé de démentir tout lien avec ses dénonciateurs. Mais depuis, aucune amélioration n’a été constatée ; les bourreaux des Gomatraciens poursuivent leur besogne, sans merci. 

Une décision irréfléchie et inutile 

La décision du maire de Goma a suscité un tollé de critiques et de protestations dans le chef des observateurs avertis de la vie socio-économique de la ville et des citoyens ordinaires, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les quelque les constituent le principal moyen de déplacement pour le million d’habitants de la ville de Goma, qui se trouve être sans routes viables et sans service public de transport. La moto est pour ainsi dire un outil absolument indispensable pour la vie socio-économique de Goma. On compte à ce jour quelque cinq mille taxis-motos dans cette seule ville, un record en République Démocratique du Congo, et peut-être même en Afrique centrale. 

Au-delà de leur utilité pratique, les taxis-motos font partie intégrante du décor de la ville, et participent à son animation et à son…charme ! Eve, une jeune étudiante, explique bien cette réalité : « les motos causent pas mal de problèmes dans la ville, mais elles entretiennent l’ambiance et la vivacité en même temps. Maintenant qu’on les a interdites, la ville est terne à partir de dix-huit heures trente ; on a l’impression que la vie s’arrête à cette heure-là. Ceci nous insécurise davantage ». 

Maman Cubaka, une quadragénaire qui fait du petit commerce ambulant d’ajouter : « Je comprends que nous avons des autorités qui se foutent trop de notre vie. En interdisant la circulation des motos, c’est comme si on nous interdisait à nous de circuler, alors que c’est l’heure où nous avons des clients qui rentrent des dures journées de travail et de débrouille ». Pascal, lui, jeune motard, est encore plus incisif : «Je crois que ce Monsieur a perdu la tête. Au lieu de nous assurer la sécurité et d’appréhender les criminels qui sèment la terreur, il préfère asphyxier davantage la paisible population en interdisant la circulation. Il ferait mieux de démissionner s’il est incapable de tenir la ville au lieu de tâtonner bêtement comme il le fait là ».  

Je leur donne raison, à ces habitants. Car une autorité responsable cherche des vraies solutions aux problèmes, au lieu de les esquiver. A Goma, certes les motos pourraient être le moyen de transport prisé par les malfrats pour commettre leurs forfaits, mais interdire purement et simplement leur circulation alors qu’elles sont aussi utilisées par 90% de la population, qui par ailleurs n’a pas d’autre alternative, c’est irresponsable pour une autorité. Il faut dire que comme on pouvait s’y attendre, les motards ont vivement protesté contre la décision du maire de la ville, dès ce mercredi 10 octobre. Ils ont sillonné la ville en klaxonnant, avant de faire un sit-in de quelques heures devant la mairie.

Les facteurs de l’insécurité dans la ville de Goma sont nombreux : prolifération d’armes et d’engins explosifs, banalisation de la drogue, mouvement incontrôlé de militaires et policiers armés (dont on sait qu’ils sont souvent impayés, et qu’ils vivent dans des conditions déplorables), … A quoi s’ajoute singulièrement l’anarchie dans les constructions (certaines avenues sont obstruées ou inaccessibles, et du coup des bandits peuvent opérer sans qu’aucune intervention policière ne soit possible de les y poursuivre). Qu’ont fait les autorités urbaines et provinciales pour juguler ces problèmes, avant de décréter instinctivement un couvre-feu visant les motos ? Je me rappelle qu’il y a un temps, à l’époque de Mobutu, où des bouclages étaient improvisés, et où des fouilles systématiques des maisons et des habitants étaient effectuées pour dénicher les bandits et trouver des armes et autres objets dangereux. Pourquoi ne pas essayer ce genre d’actions, par exemple ? 

Par ailleurs, est-il simplement possible de mettre en œuvre cette mesure ? L’autorité a-t-elle réfléchi sur son efficacité à régler le problème de l’insécurité ? A-t-elle seulement pensé au fait que sa décision pourrait rajouter de la psychose dans la population ; à ses répercussions économiques sur les ménages des débrouillards ? Que feront les motards chez eux, après dix-huit heures trente, dans des quartiers pas d’électricité ? A-t-il pensé aux tracasseries militaires et policières qui risquent de s’accroître à l’égard des personnes qui seront trouvées entrain de circuler (peut-être à moto) après son heure fatidique ? 

Des patrouilles pour rien, ou presque…

Les patrouilles de la police et de l’armée, auxquelles se joignent les Casques bleus de la Monusco, sont toujours effectuées à Goma, de jour, mais surtout de nuit.  Ces derniers temps, ces patrouilles ont même été « renforcées ». A partir de 17h, des dizaines de chars de la Monusco déferlent sur toute la ville, pour « sécuriser la population ». L’air sérieux, ils prennent position sur des points dits stratégiques de la ville, ou font des va-et-vient dans les principales avenues, toujours la main sur la gâchette de leurs armes sophistiquées. Des militaires et policiers congolais patrouillent dans des pick-up, ou à pied, formant d’interminables files, armes et torches à la main. Parfois, des hélicoptères sont mis à contribution. 

Pourtant les assassinats, les attentats, les vols et les enlèvements ne cessent pas. L’insécurité ne faiblit pas ; elle augmente chaque jour, au contraire. On dirait que tous ces militaires patrouillent juste pour de la « visibilité ». Ceux qui les cotent doivent se contenter de compter le nombre de mouvements effectués, les litres d’essence consommée, …plutôt que le nombre de bandits tués ou arrêtés, le nombre de vies épargnées ou de biens sauvés. A part peut-être que concernant les « biens sauvés », les unités de l’armée et de la police congolaises ne manqueraient pas de faire un bon bilan si l’on comptait leurs prises et extorsions, au préjudice, non pas des malfrats, mais de citoyens « imprudents » ou « malchanceux » qu’elles ont le bonheur de croiser sur leur parcours de « sécurisation »…

Et quand, dans ces conditions, l’armée congolaise et la Monusco affirment haut et fort que Goma est « sécurisée », « encadrée », et complètement à l’abri des attaques du M23, comment ne pas en rire ? La population de Goma qui, heureusement, ne croit pas cette propagande, pas moins écœurante que celle d’un Kazarama ou d’un Makenga, se moque éperdument de l’omniprésence des chars et des troupes. Elle sait que dormir et se réveiller sain et sauf le lendemain relève de la seule providence. Elle travaille, circule, survit à ses dépens. Mais voilà que même cela, une autorité mal inspirée se met soudain à le lui interdire… 

Tapez du poing sur la tête, Monsieur le Maire !

Plutôt que de « taper du poing » sur la ville pour secouer davantage les paisibles citoyens, je crois que Monsieur le Maire (ainsi que tous ceux qui, au niveau de la province, ont dû cautionner cette stupide décision), ferait mieux de « secouer » son méninge. Il y a peut-être un peu de chance qu’il y trouve une solution plus adaptée au défi de la sécurisation de la ville et de ses habitants. Et s’il ne peut la trouver ; s’il se sent impuissant ou incapable d’adresser le problème, nombreux sont les Gomatraciens qui trouveraient plus raisonnable et plus sage sa démission.

Hélas, à Goma comme ailleurs en République Démocratique du Congo, on exerce et on s’accroche au pouvoir, non pas parce qu’on a des solutions aux problèmes de la population, ou parce qu’on poursuit un idéal, mais parce que c’est un gagne-pain (gagne-villas, gagne-millions, …chacun dira comme il lui convient !). Je ne m’y trompe donc pas : mon conseil ne sera pas entendu. 

Une chose est sûre : le Maire va revenir à la raison et lever sa mesure (ou alors avancer l’heure de son couvre-feu). S’il n’y arrive pas de gré, Dieu sait que les motards sont capables de plus qu’un sit-in pour faire entendre leur voix. Je ne suis pas de ceux qui prêchent ou croient aux méthodes fortes des motards (casses, émeutes, …), mais c’est un risque réel, et Goma en a de douloureuses expériences.
Entretemps, le problème de la recrudescence de l’insécurité à Goma est suffisamment grave pour que les autorités provinciales et nationales s’investissent à en identifier les causes et les acteurs, et à y mettre fin une fois pour toutes. La Monusco, qui dépense près de quatre millions de dollars par jour, et dont les principaux moyens matériels et humains sont déployés au Nord-Kivu, devrait avoir honte de ne mener que des patrouilles qui ne permettent autre chose que le « monitoring » des attentats, des assassinats et des enlèvements. 

Si toutes ces autorités prennent quelque temps pour penser autrement la meilleure stratégie de sécurisation de la ville de Goma, au lieu d’improviser des demi-solutions grossièrement inutiles, il y a une chance qu’elles parviennent à atténuer l’angoisse et la psychose qui assaillent la population. Je croise les doigts…

mardi 2 octobre 2012

Goma/RDC : ils ont osé revendiquer la paix et la justice !


Eux, ce sont des jeunes de Goma, révoltés par la situation que traverse leur pays, et soucieux de faire advenir un changement radical des choses, dans la non-violence...


Vendredi 21 septembre dernier, alors que le monde célébrait la Journée internationale de la paix (sous le thème : « une paix durable pour un avenir durable »), des centaines de jeunes intellectuels congolais ont manifesté pacifiquement à Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, pour clamer leur désir (à eux aussi) d’une paix durable en République Démocratique du Congo, et exiger la justice pour les millions de congolais victimes des guerres et des conflits qui endeuillent ce pays et son peuple depuis deux décennies. 

La manifestation avait commencé par une marche (ou plutôt une « ballade », comme les concernés préfèrent l’appeler) sur une distance de plus ou moins huit kilomètres, à partir du lieu dit « terminus » sur la route de Sake, pour déboucher à l’esplanade de l’Office national du café, sur la principale avenue de la ville (le « boulevard » Kanyamuhanga). 

Sur place à l’esplanade de l’ONC – qui, pour les jeunes de Goma épris de changement, n’est pas sans rappeler la célèbre « place Tahrir » du Caire – les manifestants, auxquels s’étaient joints quelques milliers de personnes, avaient présenté des témoignages oraux et visuels sur les horreurs de la guerre (notamment une exposition de photos des massacres commis par différents protagonistes des conflits depuis 1996). 

La révolution et ses symboles

Chaque couleur a un sens...
La plupart des jeunes manifestants étaient habillés en noir, de la tête aux pieds, en signe de deuil pour cette paix que les politiciens et les miliciens de tous bords n’ont de cesse à torpiller. Ils arboraient sur leur bras gauche (là où bat le cœur !), des brassards de couleur verte « en signe d’éveil, de vigueur et d’espoir ». D’autres portaient des foulards blancs autour du cou. Une jeune fille d’une vingtaine d’années m’a expliqué ce que cela signifiait pour elle : « Nous faisons le deuil de la paix, mais nous n’entendons pas nous laisser abattre par l’angoisse, ou gagner par la haine et la violence. Nous sommes déterminés à lutter pour que la paix vienne illuminer notre avenir, et nous lutterons jusqu’au bout, mais toujours dans la non-violence. Voilà pourquoi nous portons cette étoffe blanche, par-dessus notre sombre tenue ». J’avoue que cette explication m’a laissé coi…

Un autre geste lourd de signification : dans leur ballade, ils se sont arrêtés au rond-point dit du cercle sportif (officiellement baptisé « rond-point de la Paix »), où est érigé un monument en l’honneur des soldats congolais et en hommage de la paix. Le monument représente deux soldats au garde-à-vous, portant des emblèmes de l’armée congolaise, ainsi qu’un canon et un tas d’armes brisées au-dessus desquelles survole une colombe. Ils ont entonné l’hymne national pendant que deux d’entre eux (un jeune homme et une jeune fille) enveloppaient d’une étoffe blanche le canon et le tas d’armes. Ils ont ensuite gardé quelques minutes de silence en hommage à ceux des militaires congolais tombés vaillamment sur le front entrain de combattre pour la paix, avant de poursuivre leur marche. Pour ceux qui ne connaissent pas Goma, ce monument est construit au pied du mont-Goma, à quelques dizaines de mètres seulement du siège du commandement militaire du Nord-Kivu (la Huitième Région militaire).

Des messages forts, sans détours…
 
Dans les messages transcrits sur leurs calicots et les morceaux de papier distribués au long de leur « ballade », ces jeunes révoltés n’étaient pas allés par quatre chemins, comme à l’accoutumé. Ils étaient directs et incisifs, signe qu’eux ont déjà gagné au moins une bataille : celle de la peur. Voici quelques-uns de leurs messages : 

-         « Est de la RDC : à qui profite la guerre ? En tout cas, pas à nous » ;
-         « Deux décennies de guerres, sept millions de morts, trente-cinq millions de litres de sang versé ; des millions de blessés, de veuves, d’orphelins, de disparus, de réfugiés et de déplacés, c’est assez ! Nous voulons la paix maintenant » ;
-         « Non à la force internationale neutre. Oui à la formation d’une armée républicaine et professionnelle. Personne ne peut mieux nous défendre que nous-mêmes » ;
-         « Rapport Mapping : deux ans déjà que les congolais attendent l suite… ONU, quel est encore votre prétexte ? » ;
-         En deux décennies, l’AFDL, le RCD, le MLC, la LRA, les ADF/NALU, le FNL, le CNDP, les différents groupes MAYI-MAYI, les FDLR, le M23, etc., ont tué des millions de congolais. Cela suffit, nous voulons la paix et la justice. Maintenant !».

Le jeudi 20 septembre, ces jeunes avaient sillonné les rues de Goma pour mobiliser et sensibiliser la population sur la nécessité, voire l’urgence qu’il y a à vaincre la peur, la résignation et l’attentisme qui maintiennent les congolais dans un état de quasi-esclavage politique, et l’inviter déjà à prendre part à la manifestation pacifique qui allait avoir lieu le lendemain. Des milliers de messages écrits en français et en swahili avaient ainsi été distribués (ouvertement et en pleine journée). 
La population a lu avec intérêt les messages distribués sur des bouts de papier. Elle n'a pas caché son admiration face au courage et à la non-violence de ces jeunes révolutionnaires.

Sur leur parcours, comme lors de la réunion tenue sur leur « place Tahrir », le 21 septembre, tout le monde était surpris par leur courage, leur détermination, leur attitude non-violente (à Goma les gens sont habitués à des manifestants qui cassent tout sur leur passage, insultent tout le monde, volent, brutalisent).  Les gens étaient tout aussi séduits par les messages diffusés, tant ils reflètent le sentiment de la majorité silencieuse des congolais. Le courage de le dire de façon aussi directe et précise, sans se voiler la face ou profiter de l’abri d’un studio de radio, ne pouvait pas ne pas susciter de l’admiration, si bien que certains trouvaient ces jeunes « trop téméraires ». En fait, les congolais ont beau être ou passifs, ou attentistes, ils n’en sont pas moins révoltés. D’où le nombre d’étudiants, de fonctionnaires ou de commerçants qui ont tout fermé, ce jour-là, pour se mêler dans la foule des jeunes manifestants.

L’intervention brutale de la police 

Pendant plusieurs heures, le meeting de la « place Tahrir » de Goma s’est tenu dans la sérénité. Par moments, des motards et d’autres curieux excédés par l’horreur des témoignages voulaient poser des actes de violence, mais ils étaient vite rappelés à l’ordre par ces jeunes visiblement très disciplinés. Des témoignages étaient lus dans les mégaphones, tandis que toutes les personnes qui le souhaitaient passaient voir les photos des horribles massacres exposées sur un tissu tendu entre deux piliers de l’esplanade. Pendant ce temps, les jeunes manifestants étaient assis calmement, en cercle autour du feu d’un pneu allumé en signe de deuil, sur une petite partie de la route. La voie étant assez large, la circulation avait sur la chaussée s’était poursuivi sans difficultés, à part que certains automobilistes s’arrêtaient de temps en temps pour lire les messages écrits sur les banderoles, ou écouter ce qui se disait sur les mégaphones. Les manifestants auraient prévu de faire leur feu sur une place inoccupée, plus loin de la route, mais le matin du jour de la manifestation des camions transportant des véhicules neufs y avaient  été stationnés.  Alors, ils avaient dû choisir la moindre des choses entre s’en tenir à leur plan, au risque de brûler ces véhicules, et occuper une petite partie de la route…

La manifestation s’est ainsi poursuivie jusqu’à ce que la police vienne tout gâcher. Dans un premier temps, une trentaine de policiers armés jusqu’aux dents avaient entouré les manifestants, et tiré des bombes lacrymogènes au milieu d’eux. A leur grande surprise, au lieu de se disperser, les jeunes manifestants se sont agenouillés à même le sol, près de leur feu, impassibles, et se sont mis à scander des chants de révolte, les mains levées vers le ciel. Les policiers se sont alors retirés quelque temps, tandis que toute la foule qui s’était éloignée lors des tirs des bombes lacrymogènes accourait pour rejoindre à nouveau ces jeunes dont l’intrépidité et l’attitude étonnaient tout le monde. Au même moment, des dizaines de journalistes des médias locaux et internationaux prenaient des images et faisaient des interviews tous azimuts. A quelques mètres de la grande place où se tenait la manifestation, deux auto-blindés de la Monusco avaient pris position. Mais les casques bleus observaient la scène, sans intervenir. Certains d’entre eux prenaient des photos, comme tout le monde. 

Des policiers, ou une bande de brigands enragés ?

Quelques minutes après leur premier coup de force, les policiers étaient revenus. Cette fois, ils avaient formé une ceinture autour des manifestants, qui étaient toujours agenouillés, les mains levées vers le ciel, à côté de leur feu. Le commandant de l’unité d’intervention s’était avancé, sans arme, et avait discuté avec les jeunes manifestants pour les prier de « vider les lieux » car la situation risquait de dégénérer. Ils avaient accepté sa proposition, et lui avaient indiqué qu’ils allaient retirer leurs banderoles de l’esplanade pour se retirer tranquillement, en passant devant les militaires de la Monusco, auprès de qui ils souhaitaient faire passer un ultime message. Sitôt promis, sitôt fait. Ils ont décroché leurs calicots, et se sont dirigés vers l’endroit où étaient stationnés les auto-blindés de la Monusco. Pendant quelques minutes, ils ont exhibé aux casques bleus une banderole sur laquelle il était écrit : « La meilleure façon de nous protéger, nous civils congolais, c’est de nous rétablir la paix. La Monusco doit y œuvrer ou s’en aller ». C’était le même message qu’ils avaient adressé quelques jours auparavant à Monsieur Hervé Ladsous, Sous-Secrétaire général des Nations Unies pour les opérations de maintien de la paix, lors de son passage à Goma, le 11 septembre.

Après cette exhibition exécutée sans heurts, ils avaient commencé à ranger leurs calicots, et avaient empruntés une route secondaire devant ramener chacun chez lui lorsque, brusquement, la trentaine de policiers laissés dernière à l’esplanade de l’ONC sont venus en file indienne, en courant, les ont entourés, et ont chargé leurs fusils. Les jeunes se sont rassis, les mains sur la tête, en criant « la paix, la paix, la paix ». 

L’ordre a été donné de tirer (donné, selon plusieurs témoignages, par le Colonel Oscar NTAYAVUKA, qui commande la police dans la ville de Goma). Alors les policiers, tels des chiens sans discernement que lance un maître contre des voleurs, se sont mis à tirer à balles réelles, à l’aveuglette, pendant trois à cinq minutes. Bilan : deux blessés par balles, dont un grièvement. Ensuite ils se sont roués sur ceux qui n’avaient pas pu ou voulu s’enfuir (dont moi-même qui m'entretenais avec les jeunes manifestants, après avoir couvert une grande partie de la manifestation). Une dizaine de jeunes ont été ramassés, frappés de tous côtés et, dans leurs cris de douleur, dépouillés de tout ce qu’ils avaient sur eux (argent, téléphones portables, documents d’identité, …), avant d’être jetés comme de vulgaires choses dans un pick-up et emmenés au cachot de la mairie de la ville. J’oubliais de dire qu’entre-temps, le maire de la ville était présent, ainsi que le commandant de la police/ville de Goma (le donneur d'ordre), son adjoint, et de nombreux agents des services dits de renseignements. 

Nous avons été frappés sans ménagement par ces brigands de policiers. Un cou de poing dans l’œil, un coup de botte par ici, un coup de crosse par là, pendant qu'ils nous traînaient sur le sol comme des bandits de grand chemin… Le moins que je puisse dire est qu’ils se sont bien régalés. En même temps, ils nous arrachaient tout ce que nous avions sur nous. 

Après notre arrestation, la situation a failli dégénérer dans le centre-ville de Goma. C’était comme si un terrible vent venait d'y souffler. On nous a raconté que la situation n’était redevenue normale qu’après près d’une heure. (Qui a, dans ces conditions, troublé l'ordre public ? Les manifestants, ou la police et ses irresponsables de donneurs d'ordre ? Je vous laisse répondre...)

Nous avions passé quelques minutes seulement dans le cachot de la mairie, le temps de nous ôter nos chaussures et nos ceintures (un autre butin pour nos policiers sans scrupule). Rapidement, des agents des renseignements sont venus nous « récupérer », mes compagnons d’infortune et moi. J’ai eu beau leur rappeler ma qualité d’avocat (et les privilèges qui s’y attachent normalement), ils ne voulaient rien entendre. Bien au contraire, ils semblaient vouloir fracasser les mâchoires à tout le monde. Une dizaine de journalistes qui nous avaient suivis se sont vus refuser de nous parler. Ils devaient se contenter de nous compter…

Tortures et intimidations

Serge Bagala, 22 ans, les balles l'ont atteint dans les deux jambes.
Embarqués dans un autre pick-up, nous avons donc été amenés aux sinistres services d’investigation de la police (la « P2 »). Roulant en trombe (ça, Dieu sait si les militaires congolais savent le faire), et sous l’escorte d’une jeep de la police militaire pleine d’hommes armés jusqu’aux dents, nous avons traversé la ville. Des dizaines de motards nous suivaient, à la même allure, comme pour nous tirer de la gueule de lions féroces. Nous n’étions plus qu’au nombre de six, d’autres ayant été laissés à la mairie. Le bureau de la P2 sont situés au sud de la ville, tout près du lac Kivu. Ils nous jeté dans le cachot. Un motard attrapé parmi ceux qui suivaient les véhicules de nos bourreaux d’agents nous a rejoints dans le cachot. 

Pendant une demi-heure, nous avons été copieusement frappés  et torturés : matraque, gifles, coups de poing, électrochoc, … Après nous avoir terrorisés, ils nous ont présentés devant des officiers de police judiciaire pour les auditions. Mais même au cours des interrogatoires, nous continuions d’être frappés. Des collègues avocats qui avaient accouru pour m’assister ont été soit priés d’observer sans dire mot, soit méprisés et tenus à l’écart, nonobstant l’insistance et l’évocation des dispositions constitutionnelles qui accordent à toute personne le droit d’être assistée à toute étape de la procédure pénale. Le sergent KAPAPULA Félicien, agent à la P2, s’est particulièrement illustré dans les actes de torture et de maltraitance nous infligés, si bien que ses propres collègues en sont venus à le dénoncer eux-mêmes auprès du responsable du bureau, arguant qui si l’un de nous venait à mourir, il serait tenu pour responsable. 

Nous avons passé la nuit dans un cachot d’à peine deux mètres sur cinq, sans fenêtre si ce n’est un trou étroit par lequel se faufilait un mince filet d’air et de lumière. Nous étions au nombre de quatorze (avec ceux que nous avions trouvé dedans), entassés à même le sol sur de misérables cartons. Un grand sceau disposé derrière la porte fait office d’urinoir. Nous n’avions rien mangé, rien bu, et tout le monde se tordait de douleur. Des milliers de questions nous traversaient l’esprit : quelle allait être la prochaine étape ? Combien de personnes avaient trouvé la mort ou avaient été blessés par les balles de la police ? Comment nos familles allaient-elles être informées de notre situation ? Combien de temps ce calvaire allait-il durer ? Ces questions étaient d’autant plus ardentes que la plupart d’entre nous expérimentaient la prison (ou le cachot) pour la toute première fois. 

Absence d’autorisation ou d’information préalable

L’on a accusé les jeunes manifestants de n’avoir pas obtenu l’autorisation, ou de n’avoir pas informé à l’avance la mairie. A supposer qu’une autorisation préalable soit nécessaire (ce qui n’est pas le cas), ou que l’information n’ait pas été donnée à temps aux autorités urbaines : cela donne-t-il le droit à la police ("agents de l'ordre") de tirer à balles réelles sur des jeunes gens désarmés, assis à même le sol, non agressifs, et qui n’ont pas essayé un seul instant de s’opposer à une interpellation ?

Quand la politique s’y mêle…

Au départ, les officiers de police prétendaient que nous avions commis des troubles à l’ordre public, et que nous avions manifesté sans autorisation. Deux accusations qui ne tiennent pas debout, d’autant plus que : d’une part, les manifestations publiques en RDC ne sont pas soumises au régime de l’autorisation, mais à celui de la simple information. D’autre part, si quelqu’un avait causé un trouble à l’ordre public, ce sont bien les policiers, de la manière dont ils ont intervenu. Des enregistrements vidéo et audio de la manifestation peuvent en témoigner. 
La police avait commencé par négocier. Ensuite il y a eu cet ordre...

Hélas, vite, des politiciens en mal d’inspiration  ont trouvé là une occasion de montrer une fois encore leur capacité de nuisance – la seule capacité qu’on ne peut hésiter à leur reconnaître ! Car le lendemain de notre arrestation, le samedi 22 septembre, alors que nous étions transférés au parquet de grande instance (grâce à la pression positive exercée en sens inversée de celle des politiciens par un certain nombre de personnes à Goma et ailleurs), les services de renseignements ont joint à nos procès-verbaux un rapport indiquant que nous étions poursuivis de « collision avec un groupe rebelle (le M23, en l’occurrence), et de dissipation d’armes et munitions de guerre »

Personnellement, je ne savais quoi penser face à un tel ridicule. Non seulement nous n’avions pas été interrogés la veille sur quoi que ce soit de ce genre, mais aussi les policiers qui étaient venus nous arrêter (ou nous massacrer, qui sait ?) reconnaissaient eux-mêmes que les manifestants n’avaient à aucun moment levé le moindre caillou contre qui que ce soit. Bien plus, des caméras avaient filmé toute la scène, du début jusqu’à la fin. Les messages véhiculés ne comportaient rien de subversif, et tout s’était passé en pleine journée, au vu et au su de tout le monde. 

C’est plus tard que nous apprendrons que les politiciens appelaient de toutes parts pour exiger que cette audace fût réprimée « de façon exemplaire », en vue de dissuader toute nouvelle velléité.  Naturellement, ceux qui entretiennent le système dénoncé par ces jeunes ou ceux qui en bénéficient d’une manière ou d’une autre se sentent menacés par de telles initiatives, d’autant plus lorsqu’elles sont le fait de jeunes intellectuels intrépides, assez intelligents pour ne pas mordre à l’hameçon de la violence, et capables de convaincre et de mobiliser des masses de personnes. 

Il fallait voir comment les magistrats évitaient littéralement ce dossier, craignant sans doute de se brouiller avec les membres de l’exécutif dont dépend leur promotion, leur traitement, voire leur vie, tout simplement. Pire, on m’a parlé de mes propres collègues avocats qui n’ont pas osé intervenir, ne serait-ce qu’en signe de solidarité, tellement l’affaire était « politisée ». Quelle lâcheté ! Quelle bassesse ! Dieu merci, il y a encore quelques rares personnes qui ont du courage et qui osent défendre la vérité et la justice. C’est grâce à eux que le samedi 22 septembre, au soir, alors que certains avaient voulu nous expédier à la sinistre prison centrale de Goma en attendant un procès expéditif la semaine qui allait suivre, nous avons été libérés, sans le moindre frais. 

La luta continua…

Un jeune manifestant narguant le feu !
Il y a des vérités qui dérangent. Il y a des initiatives qui font trembler les faiseurs de guerre, les corrompus de gouvernants congolais, les politiciens opportunistes et sans aucun idéal, les criminels en sursis, les marchands de la terreur, les violeurs de la liberté et de la démocratie, … Il y a des audaces qui surprennent les résignés, les peureux, les attentistes et les autres fatalistes qui se contentent de vivre a minima, s’interdisent de rêver, et croient qu’ils est plus honorable pour un esclave de faire semblant d’ignorer sa situation en portant toges et cravates, que d’essayer de se libérer, d’aspirer à plus de liberté, de paix et de justice. Il y a des congolais qui pensent qu’être vue dans la rue entrain de réclamer son droit, ou être emprisonné parce qu’on ose revendiquer sa dignité est une humiliation. A mon avis, la pire humiliation est pour l’être humain d’accepter sa condition d’esclave, de glorifier ses maîtres, tant que dans la boue où on le traîne il parvient encore à respirer ou à attraper des miettes de pain pour survivre. 

Cette jeunesse est une lueur qui est entrain de percer peu à peu les murs obscurs où certains voudraient voir les congolais rester éternellement. Je suis fier de m’être trouvé parmi eux, et je n’entends pas renoncer à ce noble combat, au moment même où il commence à toucher ses cibles et à les mettre mal à l’aise.
Au moment où j’écris ce billet, deux autres jeunes sont aux arrêts, à Goma, pour avoir osé organiser une conférence-débat sur le rétablissement de la paix durable à l’Est de la RDC. Je me rappelle les mots de ce magistrat qui se demandait si l’on n’était pas entrain de vouloir ériger en infraction le fait de réfléchir ! Nous-mêmes devrons attendre trente jours avant que notre dossier ne soit définitivement classé. Une chose est sûre, le Congo profond est entrain de s’éveiller, et ce ne sont ni la barbarie policière, ni le chantage et la calomnie qui consistent à associer tous ceux qui osent se défaire des moules de la pensée politique congolaise au M23 ou à je ne sais quel groupe rebelle, ni même la privation de liberté qui vont arrêter la marche inexorable vers la révolution. 

Si j’avais un conseil à donner aux politiciens congolais (de quelque bord que ce soit), ce serait : limitez les dégâts que vous avez déjà causés à ce pays, écartez-vous, laissez la jeunesse remettre les choses à leur place. Entêtez-vous, et la révolution qui a déjà commencé vous emportera, impitoyablement ! Personne n'empêchera le changement de venir au Congo. Vous pouvez le retarder, mais pas l'étouffer... A bon entendeur, salut !