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mardi 12 février 2013

Masisi, Nord-Kivu : Pacte pour la paix, ou alliance contre les Tutsi ?

"Masisi, le sang et les larmes, cela ne te ressemble pas !".
Un troupeau de vaches paissent sur une colline, près de Rubaya (Masisi).
Photo : octobre 2012 - J.Mobert.


Un pacte de non-agression mutuelle a été signé, mardi 5 février 2013, entre plusieurs groupes armés opérant dans le territoire de Masisi, dans la région du Nord-Kivu. Ce pacte vise à mettre un terme aux affrontements meurtriers et aux rivalités récurrentes entre les principaux groupes tribaux de Masisi, notamment les Hutu, les Hunde, les Nyanga et les Tembo (à l’exception notable des Tutsi). Le territoire de Masisi est l’une des parties les plus affectées par les conflits ethniques et identitaires dans l’Est de la République Démocratique du Congo, et cela depuis les années 1990, bien avant l’embrasement généralisé de la région. Que ce soient les leaders des groupes armés concernés, les autorités provinciales et les notables locaux, ou encore les différentes organisations impliquées dans la recherche de la paix dans ce territoire, tout le monde a salué la signature de cet accord sans précedent. 

Le général Janvier Kalairi, chef de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS, d’obédience Hunde) a déclaré à l’Agence France Presse : "Nous demandons à la population d'oublier les erreurs du passé. Il n'y a plus de Nyatura ou d'APCLS, ni de Hutus et de Hundes. Pour l'instant, nous sommes tous membres d'une même famille". Avec le même enthousiasme, le chef du groupe Nyatura (d’obédience Hutu), a affirmé à la même Agence que ce jour "marquait la fin du tribalisme dans le Masisi", avant d’agrémenter : "Nous devons apporter la paix à la région et nous aimer comme des frères et sœurs". Y a-t-il des raisons d’espérer que ce pacte inaugure véritablement l’ère d’une paix durable dans cette magnifique et riche contrée, ensanglantée par des décennies de conflits et de violences ? Mais curieusement, ces groupes ont crée un nouveau groupe qu’ils ont dénommé Alliance des Patriotes contre la balkanisation du Congo (APCBCO), dont on ne connaît pas encore les contours réels.

Hunde, Hutu Tembo, Nyanga, à l’unisson

L’histoire entre les communautés tribales du Masisi est très tumultueuse : entre les Hunde et les Hutu, entre ces derniers et les Tutsi, les Nyanga ou les Tembo, entre les Banyarwanda (Hutu et Tutsi) et tous les autres, etc. Les causes sont aussi nombreuses : conflits fonciers entre les « autochtones » et les « immigrés », les propriétaires coutumiers et les cessionnaires, entre les agriculteurs et les éleveurs, entre les propriétaires, etc. ; conflits identitaires ; luttes de pouvoir ou d’influence ; … Ensuite il y a eu des événements qui n’ont pas arrangé les choses, bien au contraire : La « guerre de libération du Rwanda » au début des années 1990 et l’effort de guerre (financier, mais surtout humain) consenti par les Tutsi du Masisi à leurs frères ; l’arrivée massive dans ce territoire des réfugiés Hutu rwandais à partir de 1994 ; les expéditions meurtrières de l’armée rwandaise entre 1996 et 2003 ; et enfin les rébellions Tutsi du CNDP (2004-2009) et, actuellement, du M23. A cela s’ajoute le boom du Coltan ces dernières années ; un minerai dont regorgent en abondance les collines verdoyantes de cette « Suisse d’Afrique », et dont les luttes souvent déloyales pour l’exploitation n’ont pas manqué d’ajouter de la poudre au feu.   

De nombreuses tentatives de concilier les communautés tribales du Masisi ont échoué par le passé. Soit parce que la méfiance était trop importante entre elles, soit parce que les pouvoirs publics ne s’y étaient pas suffisamment impliqués, soit encore à cause des interférences pour des fins politiciennes ou économiques. A cet égard, l’accord qui vient d’être signé est historique. En effet, outre qu’il donne désormais un semblant d’entente entre les principaux groupes armés, correspondant aux principaux groupes tribaux de Masisi (APCLS, FDDH/Nyatura, Rahiyaa-Mutomboki, FDC-Guides, et une faction de déserteurs des FARDC), il arrive à un moment où les autorités congolaises ont plus que jamais besoin de cohésion des forces pour faire face à aux forces étrangères ou réputées telles, en l’occurrence les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) et surtout le M23. Déjà, dans ce but précis, les autorités congolaises essayaient depuis plusieurs mois de convaincre Janvier Karairi et ses hommes ainsi que les combattants Nyatura de rejoindre les Forces armées de la RD Congo. Selon plusieurs informations, les combattants de ces deux groupes avaient pris part aux combats ayant opposé les FARDC au M23 au mois de novembre 2012 à Goma et ses environs. Peu avant l’offensive du M23 sur Goma et Sake dans cette période, ce sont des milliers de combattants de ces deux groupes armés qui avaient été rassemblés à Ngungu et Mushaki en prévision d’une intégration formelle au sein de l’armée congolaise. L’offensive du M23 avait eu pour effet de les disperser de nouveau, chaque combattant rejoignant ainsi son groupe ou son fief, mais, de toute vraisemblance, cela n’avait en rien entamé leur rapprochement avec les FARDC. Cet accord est ainsi d’autant plus significatif pour les autorités congolaises qu’elles ont tout intérêt à réduire autant que faire se peut le nombre de brasiers dans l’Est.

 Historique comme fragile !

S’il peut être qualifié avec raison d’historique, cet accord demeure hélas très fragile à bien des égards.
-          La communauté Tusti à l’écart : ils constituent l’une des communautés tribales de Masisi, et leur rôle (positif ou négatif) sur les plans militaire et politique, aussi bien que leur importance démographique ne sauraient être ignorés. Il faut encore savoir si cette communauté a été mise à l’écart par les négociateurs de cet accord, ou si c’est elle-même qui n’a pas voulu être de la partie. Quoiqu’il en soit, le fait qu’elle ne figure pas parmi les signataires n’est pas rassurant du tout. L’on se rappellera que la guerre actuelle du M23 est officiellement justifiée, entre autres, par la prétendue marginalisation des Tutsi, les menaces que feraient peser sur eux leur communauté la présence des Hutu rwandais dans l’Est de la RDC et la situation des dizaines de milliers deTutsi congolais réfugiés au Rwanda. Certes le M23 n’est pas jusqu’ici parvenu à s’installer dans le Masisi, mais il y a des groupes qui lui sont inféodés et qui servent ses intérêts politiques, stratégiques, voire militaires. Les Rahiya-Mutomboki et les FDC-Guides sont de ceux-là, selon les rapports du Groupe des Experts de l’ONU. Et pour couronner le tout, il y a ce mouvement continu de femmes et d’enfants Tutsi quittant en masse le territoire de Masisi pour se réfugier au Rwanda depuis le début du mois de décembre 2012. Leur raison officielle : fuir les exactions et les attaques ciblées commises contre eux par les FDLR et par les autres miliciens congolais (Hutu, Hunde, Nyanga, …). Ce dont on peut déduire aisément que tous les groupes ethniques de Masisi se seraient ligués ensemble contre les seuls Tutsi. Il est même à craindre que les Tutsi ne voient dans cet accord une alliance hostile à leur égard entre le gouvernement congolais et des groupes « anti-Tutsi ». Encore que les Nyatura sont souvent assimilés de façon systématique aux FDLR, donc aux « génocidaires » par certains, confortant ou corroborant ainsi la propagande officielle rwandaise. Il est donc superflu de penser mener un processus de paix durable dans le Masisi sans eux. A moins que cet accord ne soit qu’un premier pas, et que d’autres pas suivent…

-          L’incertitude d’une unité de leadership, de vues et d’intérêts à l’intérieur des groupes engagés :     Ceci constitue un autre problème sérieux. En effet, on sait qu’au sein d’un groupe comme Rahoya Mutomboki ou les Guides, il y a des factions qui obéissent à des intérêts et des commandements différents, et dont les obédiences ont un caractère variable. Dès lors, l’on peut douter que l’engagement d’un Bwira pour le compte des Rahiya Mutomboki fasse l’unanimité au sein de ce groupe. Pareil pour les Nyatura et les Guides. Quant à l’APCLS, l’optimisme est permis, pour autant que sa communauté ne trouve pas dans cette alliance une trahison…

-          L’incertitude d’une volonté politique et de mesures sérieuses d’accompagnement : l’autre problème est celui de la politique des autorités civiles et militaires aux niveaux national et provincial. Sont-elles à mesure de capitaliser cette opportunité de mettre ensemble les principaux groupes armés de Masisi, afin qu’ils cessent réellement de se faire la guerre ? On peut en douter. D’un côté il y a le laxisme habituel de ces autorités, leur manque de stratégie et de cohérence. De l’autre, il y a les jeux politiciens et les calculs affairistes qui accompagnent toujours les conflits et les violences communautaires dans les Kivu.

En somme, la signature de ce pacte est un pas important que les autorités et les autres acteurs devraient chercher à capitaliser et à orienter pour que l’Alliance qui s’est créée ne devienne pas une alliance du genre « tous contre les Tutsi », et pour que ce semblant de cohésion retrouvée autour d’un intérêt commun ne vole pas trop vite en éclats. Par ailleurs, il est important de trouver des mesures d’encadrement des miliciens issus de ces groupes (l’on ne sait pas encore si ceux-ci vont rentrer dans l’APCBCO), mesures qui ne doivent surtout pas consister en une intégration systématique au sein des FARDC. Enfin, l’armée et la police doivent être effectivement déployées dans cette contrée, en vue d’y assurer la sécurité. Encore faut-il que ces dernières se comportent et soient traitées différemment que d’habitude…

On verra, au cours de semaines et des mois à venir, les retombées de ce pacte. En attendant, prudence et méfiance !





dimanche 10 février 2013

« Pourparlers » de Kampala : la farce au million de dollars

(De g. à d.), Roger Lumbala et François Rucogoza à Kampala. N'ont-ils pas de quoi rire ! Photo M. Paluku.

9 décembre 2012 – 9 février 2013 : deux mois jour pour jour depuis que les « pourparlers » ou le « dialogue » (l’expression varie selon les autorités et les humeurs) entre le gouvernement congolais et la « force négative » (!) du M23 ont officiellement débuté à Munyonyo près de Kampala, la capitale ougandaise. Menés sous l’égide de la Conférence internationale sur la Région des grands Lacs, et sous la médiation de l’Ouganda, représenté par son ministre de la défense, Crispus Kiyonga, ces « pourparlers » connaissent la participation d’une trentaine de délégués de part et d’autre, en plus de plusieurs observateurs  régionaux et internationaux.

Au moins 1, 5 million de dollars du Trésor public pour deux mois de villégiature en terre ougandaise

Selon nos informations, chaque délégué à ces « pourparlers » a droit à un per diem de 250 dollars américains, en plus d’un logement (la chambre la moins chère à Munyonyo Commonwealth Resorts se facture 150 dollars la nuitée) et de deux repas quotidiens (pas moins de 50 dollars). Le gouvernement compte une trentaine de délégués officiels (ministres, parlementaires, représentants des communautés tribales du Kivu, « représentants de la société civile »), auxquels s’ajoutent des agents d’un service technique d’appui et quelques journalistes, tous à sa charge. Je ne veux pas m’attarder sur le fait que de prétendus membres de l’opposition congolaise et de la société civile sont pris en charge par le gouvernement, ce qui les rend inexorablement tributaires de ce dernier, car il y a encore pire : c’est le gouvernement congolais qui prend en charge la délégation de la rébellion du M23, composée elle aussi d’une trentaine de membres.

En tout, plus de soixante personnes. Ce qui amène le compte autour de 1, 5 million de dollars, en considérant les cinquante jours qu’ils viennent de passer dans le prestigieux complexe hôtelier ougandais. (Qui sait si même la dizaine de jours de congé autour des fêtes de fin d’année n’étaient pas « chômés » mais payés !). Et c’est sans compter les billets d’avion (certains ministres et députés ont effectués plusieurs navettes entre Entebbe et Kinshasa, Addis-Abeba, Dar-es-Salam, New York,...), les inévitables commissions, les frais versés à des journalistes pour la couverture médiatique de ce (non)événement, etc. L’argentier du gouvernement à Kampala, qui est aussi « l’expert » et, avec le ministre des affaires étrangères, le principal négociateur, l’illustre révérend Apollinaire Malu-Malu, peut-il manquer sa « marge de manœuvre » entre les chiffres ? Ah ! Ce ne serait pas catholique pour un Congolais « normal »...

Quel résultat ?

Mauvaise question, dirais un Congolais…pragmatique ! Avec raison, car il est fort à parier qu’il n’y pas un seul Congolais, le chef de la délégation Raymond Tshibanda en premier, qui semble être allé à Kampala avec un résultat politique en vue. Résultat suppose objet, or justement chacun donne à ces « pourparlers » un objet selon son propre entendement. D’où une véritable cacophonie parmi les officiels congolais.

Pour le président Joseph Kabila, Kampala devrait mettre à jour les « causes profondes » des guerres dans l’est de la RDC. Pour le ministre Raymond Tshibanda, il faut en attendre une paix durable pour les Kivus. Pour Lambert Mende, Kampala doit permettre d’évaluer l’accord du 23 mars 2009 et de démontrer la mauvaise foi des rebelles. Etc. En coulisse, tout le monde avoue que c’est, pas plus ni moins, une distraction, une manœuvre destinée à calmer l’ardeur des rebelles, une simple formalité découlant de la déclaration des chefs d’Etat de la CIRGL du 26 novembre 2012 enjoignant le gouvernement à « entendre les revendications légitimes du M23 », ou encore un moyen de gagner du temps en attendant le déploiement d’une hypothétique « force neutre ». Le M23, lui, voudrait probablement négocier. Mais bien sûr ce n’est pas tant l’accord du 23 mars 2009 qui l’intéresse, que des revendications d’ordre politique et militaire, qui ne sont pas forcément celles d’il y a trois ans. Des questions sur lesquelles le gouvernement ne veut ou ne peut faire de concession, en tout cas pas autant que le M23 le souhaiterait. Dans ce contexte, quel autre résultat peut-on attendre d’un tel dialogue auquel personne n’accorde le moindre crédit, à part un gaspillage de temps, de ressources et d’énergie ?

Le premier résultat le plus certain, c’est l’impasse dans le processus politique. Car tout le monde à Goma, Kinshasa ou New York a depuis deux mois les yeux braqués sur ces « pourparlers », et depuis deux mois rien n’en rejaillit. Par ailleurs, comment la communauté internationale, qui a qualifié le M23 de force négative et l’a enjoint de libérer le territoire qu’il occupe peut-il continuer de faire prévaloir cette position politiquement importante, alors que le gouvernement de l’Etat sensé agressé est en négociations officielles avec lui ?

Kampala aura été plus une imposture qu’un véritable rendez-vous de la paix. Un rendez-vous sérieux, cela était d’autant plus improbable qu’il y a trop d’anomalies et d’absurdités dans l’affaire : traiter un groupe armé de « satellite » d’un agresseur et de force négative, et ensuite avoir à négocier avec lui ; discuter de l’exécution d’un accord avec une partie qui, juridiquement, n’en est pas signataire ; accuser publiquement le Rwanda d’être le véritable meneur de « l’agression », et accepter de discuter avec ses supplétifs supposés ; prendre pour médiateur le ministre de la défense de l’un des pays agresseurs, et y tenir les négociations ; etc.

Quant au second résultat le plus certain, c’est l’emploi à durée indéterminée et au salaire juteux de 250 dollars par jour, logement de luxe, copieux repas et boisson assurés, pour certains délégués (notamment ceux de la soi-disant société civile). Comparé à ce que gagne le Congolais moyen qu’ils prétendent représenter, ou comparé à la vie que mène un déplacé lambda dans un camp d’infortune à Mugunga, c’est un luxe dont peu de congolais dans l’air du temps peuvent se passer. Un luxe  gratuit, car 99% des délégués (des deux parts) ne sont que des « observateurs » passifs, l’ensemble des actes de la farce étant dévolus aux chefs de délégation. Ils n’ont d’autre charge que de supporter les quelques grammes du large badge « CIRGL » suspendu à leur cou durant les longues heures qu’ils passent à la terrasse de l’hôtel (à boire, manger, discuter entre eux ou avec des journalistes et des diplomates étrangers), au jardin entrain de se faire interviewer ou de se faire prendre des posters, ou encore les rares fois qu’une « plénière » est convoquée, pour applaudir à la moindre gesticulation des acteurs ou leur metteur en scène de médiateur ougandais. Il faut être irréfléchi pour attendre de ces « représentants du peuple », « de l’opposition », ou « de la société civile » donnent un autre son de cloche que celui du très généreux gouvernement. Ils acquiescent, appuient, soutiennent, applaudissent, … La slogan « représentant » n’est en fait qu’un visa d’accès à de telles « opportunités », et le reste n’a aucune importance.  

Dommage qu’à Kinshasa, un « jaloux saboteur » ait eu la sinistre idée de congédier, sans préavis, une bonne partie de ces vacanciers de la patrie au motif (valable ?) que la facture commençait à devenir trop lourde !   

vendredi 1 février 2013

Goma : Julien Paluku en passe d’être emporté par…la poussière ?


Goma : le principal axe routier de la ville (route de Sake), en pleine journée. Le million de Gomatraciens respirent et avalent cette poussière volcanique depuis deux ans. A cela s'ajoute de milliers de trous creusés sur la piste par les eaux de pluie. Un vrai calvaire. Photo : 2013 - Jean-Mobert N.N. 
La tension est montée d’un cran à Goma la semaine dernière, suite à l’enlisement des travaux de réfection des routes de cette ville jadis qualifiée de capitale touristique du Congo. La responsabilité (ou mieux l'irresponsabilité) du gouverneur du Nord-Kivu Julien Paluku, en poste depuis plus de six ans, est donnée pour être à la base de cet état des choses, mais la quarantaine de députés provinciaux ne sont pas non plus épargnés. Tout le monde fustige le fait qu’ils gardent silence et ne semblent guère se préoccuper de ce problème qui a trop duré et qui a des conséquences sanitaires, économiques et écologiques incalculables. De plus en plus de gens estiment que le gouverneur devrait démissionner et être poursuivi pour sa gestion de cette affaire, entre autres "calamités" de cette ville et de cette province.

A la maison, au bureau, dans les débits de boisson et dans les rues, les débats tournent autour de la poussière qui enveloppe la ville depuis si longtemps (deux ans), alors qu’on parle de millions de dollars déversés tantôt par le gouvernement central, tantôt par le Fonds national d’Entretien routier (FONER), tantôt encore par l’exécutif provincial. L’entreprise minière (oui, minière !) TRAMINCO, à laquelle les travaux ont été confiés semble ne pas disposer de la technicité et des moyens nécessaires, car elle est « à l’œuvre » depuis deux ans maintenant, pour des travaux qui ne portent que sur 10,5km de route ! En novembre 2011, à la faveur de la campagne électorale, quelque deux kilomètres avaient été asphaltés en toute hâte pour faire la « visibilité » des fictifs Cinq Chantiers de Joseph Kabila. Une fois l’élection passée (et Kabila humilié à Goma), les machines et les agents ont disparu du « chantier ».

Plusieurs fois, la population s’est soulevée pour exiger la poursuite et le parachèvement rapide des travaux, mais à chaque fois elle a été réprimée violemment par les soi-disant autorités urbaines et provinciales, qui se servent de la police comme un voyou se servirait d’un chien pour terroriser les passants. Evidemment, la population étant ce qu’elle est (laxiste, résignée et docile), il n’y a jamais eu de véritable mouvement de masse dans ce sens. Ce sont tantôt des étudiants, tantôt des conducteurs de taxis motos, tantôt encore des jeunes révoltés du mouvement Lutte pour le Changement, qui ont osé hausser du ton. Pas assez fort face à des autorités dont les oreilles n’entendent que les armes ou le bruissement des billets de banque, et qui ont chacun son 4x4 pour ne pas aspirer la poussière et pour amorcer les secousses des nids-de-poule. Julien Paluku a même trouvé mieux : faire en canot rapide sur le lac le trajet de cinq kilomètres entre sa résidence et son bureau, tous les deux situés au bord du lac. Quel génie, ce gouverneur ! Il ne lui reste plus qu’à se payer un hydravion pour ne pas avoir à faire des allers-retours ennuyeux entre la ville et le pitoyable aéroport de Goma lors de ses multiples déplacements de Kinshasa.

Dimanche 27 janvier 2013, lors d’une émission radiodiffusée au sujet de l’état des routes sur la radio Kivu 1 (une radio locale très suivie), une demi-dizaine d’invités ont sévèrement pris à parti le gouverneur de province, les députés provinciaux et l’entreprise TRAMINCO, épinglant leur responsabilité respective dans cette affaire. Les services du gouvernement ont dépêché un de ces « fou-du-roi » pour venir « limiter les dégâts. Mais rien n’y a fait. Ses tentatives de dépeindre le « bilan » de son roi de gouverneur ont achoppé aux arguments forts et unanimes de ses contradicteurs, parmi lesquels des représentants de partis de la « majorité présidentielle » chère à Julien Paluku. Donc des gens de son propre camp. L’écho s’est ressenti dans toute la ville. Le lendemain (lundi), des engins ont été déployés sur la route Goma-Sake qui a été barricadée, sous prétexte que les travaux allaient avoir un court d’accélérateur. 

Un mensonge de plus pour distraire la population et éviter une explosion massive de colère, car de l’avis même des responsables de la société TRAMINCO, l’usine d’asphalte n’est pas encore achevée (on parle de son montage depuis plus d’une année), et elle ne sera pas prête avant plusieurs semaines. A présent, la route de Sake est bloquée à la circulation, or elle est l'unique voie qui relie tant bien que mal les deux bouts de la ville. Les automobilistes n'ont pas d'autre choix que d'emprunter des déviations non assainies (des pistes jonchées de pierres, voire de roches volcaniques), avec tout le danger que cela comporte pour les enfants dans les quartiers. Circuler dans la ville de Goma était déjà problématique, maintenant c'est pire. "Ils se moquent de nous. C'est la quantième fois qu'ils bloquent les routes, alors qu'ils ne font rien", se plaint un motard, très remonté. 

Selon plusieurs spécialistes, la poussière et les secousses que le million d'habitants de Goma sont obligés de supporter depuis si longtemps a déjà des conséquences graves sur le plan sanitaire, et d'autres encore vont inévitablement se manifester dans les prochaines années. On note une augmentation inquiétante des cas des hémorroïdes, d'asthme, d'interruptions involontaires de grossesses, de diarrhée (surtout pour les enfants de 0 à 5 ans), de grippe chronique, etc. Des cas de cancer et d'autres pathologies graves, respiratoires notamment, sont "inévitables" dans les trois ou cinq prochaines années. Les milliers de conducteurs de taxis motos et de taxis bus ainsi que les petits commerçants qui passent la journée entière dans cette poussière le long des routes sont les plus exposés, mais "personne n'est à l'abri, y compris ces autorités", s'alarme un médecin spécialiste en pneumologie qui préfère rester anonyme. 

D'après des spécialistes de la santé publique, la situation est d'autant plus grave que la poussière inhalée à Goma est une poussière volcanique, d'une grande teneur en souffre et en d'autres métaux lourds. Qui plus est, la majorité de la population ne dispose pas d'eau potable. Elle consomme l'eau du lac à l'état brut, souvent sans le moindre ajout de chlore. Des aliments sont vendus le long des routes, à ras-le-sol. Lorsqu'ils ne sont pas consommés en l'état, ils ne sont pas lavés de façon appropriée, faute d'eau potable. La promiscuité est la règle. 

Ces dernières années, le gouverneur Julien Paluku a réussi à se rendre très impopulaire à Goma et partout dans la province, y compris dans sa propre communauté et sa famille politique, en raison à la fois de sa gestion calamiteuse de la province, de son enrichissement scandaleux, de ses prises de position et de la crudité (et la vanité) de ses discours. Tombé en disgrâce avec le leader du RCD/KML, le puissant Mbusa Nyamwisi, alors qu'il ne devait son élection qu'à ce dernier, il s'est rapproché de Joseph Kabila, a créé un nouveau parti, le Bloc Uni pour la Reconstruction et l'Emergeance du Congo (BUREC), et a intégré la "Majorité présidentielle". Une position qui ne l'aide guère, tant la population du Nord-Kivu déteste désormais Joseph Kabila et tous ses vassaux, tel que Julien Paluku. Déjà depuis le retrait du M23 de la ville de Goma, un groupe d'opposants ont initié contre lui une pétition pour exiger sa démission. A ce jour, la pétition aurait déjà récolté des dizaines de milliers de signatures à Goma, mais aussi dans le "grand-nord", son ex-fief. Alors, l'affaire des routes de Goma va-t-elle achever celui que tous les Gomatraciens considèrent comme l'un des principaux problèmes de cette province ? Ce n'est pas sûr, mais comme ce serait souhaitable !